• Le banc

    Le banc

    Texte d'Hamza Abbas, illustration de Clément Dequidt


    Photos Semaine Japon au lycée Corot

     

    Ca fait maintenant deux heures que je suis là, assis sur ce banc, à regarder le ciel. Je n’avais pas envie de venir, et ils ne m’ont pas écouté. Eux, ce sont bien mes parents, ils voulaient que je vienne avec eux à Nikko, petite ville loin de tout, alors que j’étais venu de Paris juste pour voir Tôkyô. Mais eux, c’était différent.

    Je m’appelle Nicolas, j’ai seize ans, et je suis un garçon normal, dans un lycée normal, d’un quartier normal, d’une ville normale, près de Paris. Mes parents, ma grande sœur et moi sommes venus au Japon voilà quatre jours.

    Heureusement pour moi, ils n’ont pas trouvé spécialement important de sortir de Tôkyô, ville qui m’a toujours fait rêver, mais aujourd’hui, apparemment, ils se sont levés du pied gauche. Au début, ils ne m’ont rien dit, ils savaient bien que j’allais laisser paraître mon désaccord…voilà pourquoi ils ont tout simplement menti. On est monté dans un train…et voilà.

    Une fois parti, j’avais à accepter cette décision crève-cœur. J’allais quitter Tokyo alors que j’attendais ces précieux jours depuis maintenant sept mois, vingt quatre jours et quatre heures très précisément. Oui, je n’avais pas beaucoup de choses à faire dans ce train, alors autant compter, jusqu’au moment où mes parents m’ont annoncé qu’ils allaient enfin penser à partir en voyage au Japon, pays de mes rêves. Mais bien entendu, je n’ai eu besoin que de quelques minutes pour compter…j’ai donc occupé le reste de ces quarante-cinq minutes de trajet à trouver un stratagème pour préparer une réelle contre-attaque. Ils avaient conscience de l’adoration que j’ai toujours vouée à Tôkyô. Et là, c’était un réel affront auquel il fallait répondre. Fermement.

    Et nous voilà arrivés à la gare de Nikko, entourés de petites retraitées marchant très rapidement autour de nous avec des petites casquettes multicolores. Adieu la folie de Shibuya, l’audace architecturale de Shiodome, l’insolence de Ginza, il fallait maintenant survivre une journée entière, à Nikko.

    « Je reste là. » Voilà tout ce que j’ai prononcé avant de m’asseoir sur ce banc, en face de la gare de Nikko. Ma mère, dont je voyais l’irritation monter, allait avancer vers moi quand mon père, le flegme personnifié, la retint. Ca avait donc marché, belle contre-attaque donc, surtout que je suis certain que ma mère est à l’origine de cette expédition punitive.

    Voilà, ça fait donc maintenant deux heures et cinq minutes que je suis assis sur ce banc, j’imagine qu’en plus, ma mère prend plaisir à prendre son temps, uniquement pour me faire patienter, comme si un certain sadisme s’était emparé d’elle, au point de vouloir même rentrer encore plus tard à Tôkyô.

    Un vieil homme me regardait depuis bientôt vingt minutes maintenant, il était sur un autre banc, et ça en devenait même gênant à force, puis, par je ne sais quel miracle, il décida de partir. Peut-être que cet homme attendait son train ? Je ne le saurai jamais, mais à vrai dire, c’est bien la dernière chose qui me taraudait l’esprit.

    Mes jambes étaient maintenant plus lourdes à force de rester assis. Il faut prendre une décision. Que vais-je faire ? Je ne veux absolument pas rencontrer ma famille en route, ils en triompheraient, enfin…surtout ma mère et ma sœur. Je devrais aller dans des petites rues qui paraissent sinistres. Au moins là, je suis certain de ne pas les y croiser, ou mieux, leur envoyer un SMS « je rentre à Tôkyô, Nicolas. ». Non, mon père trouverait cela intolérable que je prenne les transports seul et sans permission. Bon, je dois donc rester ici et attendre encore une heure et demie.

    Il y eut comme un bruit sourd de métal quand je me suis levé. Mais oui ! J’avais oublié que j’avais encore de l’argent. Peu certes, mais quand même assez pour faire quelques petites achats, sans compter que je ne compte pas raconter quoi que ce soit de cette journée dans mon journal, boycott officiel. Après un rapide calcul,  je n’avais en fait qu’assez pour une glace à la vanille bon marché…heureusement que j’avais pris des sandwichs, sinon, ma mère aurait réellement triomphé de ma capitulation.

    Finalement, et ce, à cause de mon envie toute naturelle de ne pas bouger, je compte marcher un peu pour aller chercher cette glace après avoir savouré mes sandwichs, puis, comme un signe de fidélité à ce meuble urbain, complice de mon boycott, je reviendrai ici, sur ce banc.


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  • Commentaires

    1
    gaelle.m
    Jeudi 13 Mai 2010 à 13:55
    Un adolescent en pleine rebellion. J'ai beaucoup aimé cette nouvelle, comment le personnage fait tout pour montrer a ses parents sont désaccord! bravo hamza!
    2
    Kahina M
    Jeudi 13 Mai 2010 à 16:19
    Hamza le garçon rebel. J'ai aimé ta nouvelle c'est marrant mais c'est tout à fait toi ca m'étonne pas
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    3
    Imane Z
    Jeudi 13 Mai 2010 à 18:13

    Un adolescent rebelle (ou pourri gâté pour d'autres) dans la ville "glamour" qu'est Nikko XD
    j'aime bien 

    4
    Amélia.B
    Lundi 26 Juillet 2010 à 00:19

    J'ai bien aimé ! En tout cas, on comprend bien que la mère de " Nicolas " est une grosse chieuse ( Oups ! Pardon .. ) 

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