• Ai no namida

    Ai no namida

    Texte de Marina Lefrançois, illustrations de Clément Dequidt

    Photos Semaine Japon au lycée Corot

     

     

     Encore une belle journée d’automne, calme et paisible. Aujourd’hui comme chaque jour, j’ai vu le soleil se lever et les nuages se dissiper…Les moines et moniales sont réunis tout autour de nous, silencieux, ils observent la scène qui se déroule devant leurs yeux. Le bonze récite quelques tantras, priant Bouddha d’accorder à nos âmes le pardon dont lui seul est capable. Agenouillée au côté du moine Shunsuke, pieds et poings liés, une fleur de lotus blanche ayant trouvé place entre nos mains, nous attendons. L’homme qui va sceller nos destins se montre enfin, habillé comme mes frères moines, il a cependant à la main un étui long et fin. J’avais été informée de mon sort mais maintenant que l’avenir s’obscurcissait, je sentais les larmes couler le long de mes joues et mon cœur devenir fou dans ma poitrine. Le bruit de la lame glissant contre l’étui se fit entendre et ces dernières semaines défilèrent à toute vitesse devant mes yeux…

     Cela faisait maintenant plus de huit ans que j’étais moniale. Jamais je n’avais fait un écart de conduite, pas même lorsque j’étais encore novice mais lorsque je vis pour la première fois le moine Shunsuke, je m’inclinais bien entendu comme le veulent les règles et me présentais. Il semblait jovial et souriait. Nous passèrent plusieurs minutes à discuter de son arrivée dans notre temple et du temps qu’il comptait y passer. Nous nous séparâmes avec l’envie et l’espoir communs de nous recroiser et de discuter à nouveau. Plusieurs semaines passèrent sans aucun signe de vie de sa part. ; pour la mienne, je n’étais pas retournée au bâtiment des hommes depuis ce jour. Enfin, une novice se fit ordonner et m’offrit l’occasion de le croiser. Nous échangeâmes un regard dans lequel pouvait se deviner un certain plaisir mais le silence était de rigueur, installés à l’opposé l’un de l’autre, nous observâmes la cérémonie.

     Quand tout cela fut fini, nous sortîmes et fîmes quelques pas sans paroles, la simple présence de l’autre nous suffisant amplement. Il gravit les marches rocheuses qui menait au bâtiment des femmes à mes côtés en contemplant la beauté de la nature qui nous entourait. Arrivés devant le seuil, il me gratifia d’un doux regard et, avant de s’éclipser, d’un sourire enchanteur. Mon cœur s’emballa et je le regardai disparaître.

     Cette nuit là, prise de remords effroyables, je ne trouvai pas le sommeil. Son image harcelait sans cesse mon esprit, son regard, son sourire, sa peau qui semblait si douce. Je décidai donc d’aller chercher un peu de repos et de sérénité sur les sentiers du jardin. La lune pâle éclairant mon chemin, je découvrais la splendeur de la nuit étoilée, les ombres flottantes des divers végétaux sur l’herbe fraîche. La simple lueur de la lune apaisait mon esprit torturé mais ce repos salutaire fut troublé par des bruits de pas. Je me retournai et l’aperçus, lui, ici, dans le jardin des moniales, mais que venait-il donc y faire ?

     Il avait un pas léger et aérien. Lorsqu’il arriva à mon niveau, nous marchâmes ensemble et lorsque je lui demandai avec le plus de politesse possible ce qu’il venait faire ici à cette heure avancée de la nuit. Il me retourna la question avec ce sourire enchanteur dont il avait le secret. Je lui dis simplement que je peinais à trouver le sommeil et que la nuit était un spectacle à contempler au moins une fois dans la vie. Il sourit de nouveau et m’expliqua que lui non plus n’arrivait pas à dormir et qu’espérant se fatiguer un peu, il avait décidé de se promener au clair de lune. Je ris doucement et lui demandai si tout cela était la réelle raison de sa présence dans le jardin des moniales. Son doux sourire se rétrécit quelque peu et croisant ses bras, il avoua qu’il avait entendu des pas sur la roche et qu’il avait espéré que ces pas m’appartiendraient.

     Le silence se fit, alors que gênée et sans doute rougissante je réfléchissais à ce que dirait le bonze si par malheur il découvrait qu’un moine était en ce moment même dans le jardin des moniales accompagné de l’une d’entre elle. Nous serions sans aucun doute punis, mais quelle serait la punition? Mes traits durent se tirer durant ma réflexion, car c’est anxieux qu’il m’observait à présent. Je lui dis la raison de mon trouble et il m’avoua que lui-même n’y avait pas pensé, envahi par l’espoir d’être en ma seule compagnie, loin des regards scrutateurs de certains moines et de toute oreille indiscrète. Mon inquiétude se fit plus grande, mais ma joie la faisait taire. Il m’appréciait donc, tout comme moi je lui portais de l’intérêt.

    Je l'accompagnai jusqu'au seuil de mon bâtiment et le priai d’aller dormir sans plus attendre. Il me fit le plus beau sourire que je n'avais jamais vu jusqu’à présent sur son visage et glissa le bout de ses doigts le long de ma joue. Je le priai doucement d’arrêter et de se retirer avant de faire quelque chose de regrettable mais, les mots avaient à peine franchi mes lèvres, qu’il les emprisonna en un baiser. Il me libéra enfin et me fit promettre de venir le voir le lendemain, à la même heure dans ce même jardin. Je hochais timidement la tête, il m’embrassa de nouveau et s’en alla en silence.

     Etrangement, le lendemain je n’eus aucun mal à me lever, mais je n’arrivais pas à me concentrer, les cours de bouddhisme me parurent interminables, et la journée semblait s’étaler en longueur.  Mais enfin, le soleil embrasa l‘horizon, enfin mes sœurs allèrent se coucher et je pus sortir en douce de la petite maison qui abritait nos chambres et je courus presque jusqu’à l’endroit du rendez-vous.

     L’endroit était désert, la végétation ondulait sous le souffle du vent, la lune flottait doucement dans le ciel. Il n’était pas là, avait-il oublié? J’angoissai tout à coup, peut-être avait-il été pris hier en revenant et il avait été assigné au bâtiment et il était maintenant surveillé. Puis à mon grand soulagement, j’entendis ses pas et sa respiration, plus haletante que d’habitude, il courait. Je me retournai vers lui et sans comprendre ce qui m’arrivait, je me retrouvai allongée au sol.

     Cette nuit fut douce et infinie. De nos corps entremêlés l’amour jaillit et plongèrent nos âmes  dans les limbes du plaisir. Quand les doux rayons de soleil levant caressèrent notre peau, nous décidâmes de retourner aussi vite et discrètement que possible dans nos bâtiments respectifs, un ultime baiser pour au revoir et nous retournâmes sans bruit rejoindre nos places.

     Ce jour qui avait divinement commencé, devait devenir un enfer, ce jour était celui où les moniales devaient confesser devant la communauté réunie, leurs péchés. Cette nuit toute entière était imprégnée de péché, l’air me devint irrespirable sur le chemin du temple et la grande moniale me dévisageait avec inquiétude. Ayant pris place dans le temple, je le vis, il était pâle et sans doute aussi effrayé que moi. Les moniales défilèrent, avouant leurs divers péchés, péchés qui me semblaient si insignifiants comparés au notre. Mon tour vint et je dus me placer devant eux. De mes yeux s’échappèrent des larmes et ma voix tremblante conta la nuit précédente.

     Ma confession finie, Shunsuke fut emmené en dehors du temple par des moines et je ne tardai pas à le rejoindre. Nous fûmes ensuite enfermés séparément dans une vieille cabane inutilisée et l’on nous demanda d’attendre la décision du conseil. Les heures parurent plus longues que des années, enfin on nous informa de notre sort commun. Je ne pleurai pas, je restai simplement pétrifiée.

    Le bonze nous souhaita un repos éternel, Shunsuke me murmura une parole qui ressemblait fort à un adieu, le vent souffla et…Plus de lumière, plus de son, plus de sensation. S’en était fini de moi, de nous, des moines et moniales. Ma vie venait de prendre fin, plus tôt que je ne l’avais prévu mais pour une raison qui ne rendait pas à mes yeux cette mort futile. L’amour.

     

     

               


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  • Commentaires

    1
    gaelle.m
    Jeudi 13 Mai 2010 à 13:49

     L'amour interdit dans les monastères. Ca me rappelle d'autres oeuvres qui diffèrent cependant.C'est une belle nouvelle.Bravo a toi Marina!Mais il me semble que dans ces cas là, les moines étaient excommuniés.Enfin, les faire mourir ajoute au tragique de leurs situation.J'ai bien aimé cette nouvelle.bravo!

    2
    Kahina M
    Jeudi 13 Mai 2010 à 15:45

    Belle mais triste nouvelle. J'aime beaucoup tout ce qui est en rapport avec l'amour et la le côté tragique renforce cette amour

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    3
    Imane Z.
    Jeudi 13 Mai 2010 à 17:52
    C'est vraiment beau et touchant!!! j'aime beaucoup bravo marina, en plus c'est vraiment bien écrit 
    4
    Amélia.B
    Lundi 26 Juillet 2010 à 00:47

    Wawh ~ Magnifique, vraiment ... C'est dommage que ça se finisse ainsi mais le récit était vraiment beau.

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